11/08/2016

[Album] Ellipse : "À Nos Traîtres"

Artiste : Ellipse
Album : À Nos Traîtres
Premier Album
Sortie : 2015
Genre : Métal Moderne, Métalcore
Label : Finisterian Dead End
Morceaux à écouter : À Nos Traîtres, Ascension, La Chute
♥♥♥♥
> Ecouter Ellipse via Bandcamp ou Youtube <

La côte Atlantique, terre de Métal. Pour les gens de l'Ouest de la France, il paraît que Nantes, ce n'est pas la Bretagne. Pourtant, quand on vient d'ailleurs, le raccourci vient assez facilement. Bref. La côte Atlantique (y compris bretonne) est un berceau du Métal et du Rock en France et même si le nom de certains groupes ne vient pas tout de suite à l'esprit (citons, parmi tant d'autres, Mantra ou les feus Dead Sailors qui avaient offert deux EPs bien cool), rappelons seulement que le Hellfest se déroule à Clisson depuis 2006 et que son rayonnement est d'ordre mondial. Ellipse a d'ailleurs participé au festival en 2013 pour défendre son EP L'Ampleur Du Vide sur scène, un premier effort qui avait fait sensation en 2012. Il aura fallu attendre plus de trois ans et une signature chez Finisterian Dead End pour voir les nantais sortir leur premier album distribué par Season Of Mist. Un visuel qui en jette, un packaging et un design sobres mais classes : on n'en attendait pas moins de la part de ces gens-là !

Un album-concept ? Si À Nos Traîtres sonne comme une dédicace, ce n'est pas un hasard. Le groupe avait déjà développé un univers revanchard et aux propos assassins camouflés dans une écriture métaphorique et onirique sur son premier EP. Quoiqu'il en soit, Ellipse avait parfaitement placé les bases de son Métal moderne teinté de Hardcore : épique, violent et à la fois poétique (sisi !). Un parti pris qui donnait un certain cachet à la musique du groupe et lui permettait de tirer son épingle du jeu. Avec ce premier album, Ellipse ne laisse rien au hasard. Là où le visuel de L'Ampleur Du Vide nous plongeait dans le néant où étincelaient des étoiles lointaines, c'est une illustration faisant penser au fossile d'un seigneur de guerre qui donne le ton ici (la présence d'une monture avec ce squelette de cheval, l'épée et la couronne viennent corroborer cette hypothèse). Les traîtres seraient-ils ceux qui nous gouvernent ? Possible, surtout qu'Ellipse avait déjà pas mal abordé le sujet en dépeignant la noirceur qui habite l'être humain, tissant une toile bien sombre de notre condition en tant qu'individus évoluant parmi les autres (ce qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler l'EP de Vesperine intitulé Parmi Les Autres, un autre groupe français chantant en français). Et ce ne sont pas les textes d'un titre comme "Enseveli" qui pourraient laisser penser autre chose ! Mais c'est aussi le découpage de l'album qui interpelle ici : quatre titres sont numérotés tels des chapitres. Quatre interludes instrumentaux qui font office de pauses entre des passages violents, rudes et rageurs, comme suivant une narration amenant jusqu'à une "chute" inéluctable... et salvatrice. On est donc face à un recueil de morceaux dont l'ordre ne semble pas anodin, où certains sont rassemblés (le triptyque "À Nos Traîtres" / "Ascension" / "Dans la Gueule du Loup" est d'une force inouïe !) ou au contraire séparés du reste pour davantage marquer leur importance ("Ruines", et "La Chute" qui conclue l'album d'une bien belle façon). En ce sens, on est en droit de se demander si Ellipse n'a pas pondu ici un album au concept dramatique fort et surtout noir, comme pour nous convier à une aventure épique qui ne connaît pas de fin heureuse et dont nous serions tous un peu acteurs...

Une identité sonore. Sans doute l'un des plus gros atouts d'Ellipse à l'heure où les batteries survitaminées par des productions qui en font des tonnes sont légion. Pareil pour les autres instruments (à cordes) : les français ont su conserver un son brut et sans artifice (ou presque). On est bien loin de toutes les grosses écuries américaines qui pondent du Métalcore et du Post-Hardcore gonflés aux delay, distorsion ou autre overdrive comme un sportif courant un cent mètres sous produits dopants. Ellipse fait du Métal où les origines Rock sont audibles, présentes et habitent la musique d'un groupe qui a su rester sincère et fidèle aux sonorités de ses instruments. Un véritable pied de nez à ce qui se fait un peu partout et qui prouve que les nantais gardent le cap, leur identité, et n'ont pas pour but de tricher avec l'auditeur. Et c'est évidemment quelque chose qu'on peut saluer ! On retrouve ici - à quelques petites choses près - la même démarche que celle entreprise par Raised Fist sur son album From The North sorti au début de la même année.

Deux niveaux de lecture. Autre point caractéristique de la musique d'Ellipse et déjà souligné après l'écoute de l'EP sorti en 2012, le vocabulaire employé par Claire dans ses textes fait souvent référence à la mort, à l'enveloppe charnelle ("sang", "chair", "corps" sont des termes employés maintes fois), à la violence d'une manière générale. Mais aussi à beaucoup de choses qui touchent à la mer ou l'océan ("les ports" dans "Calvaire", "se jettent à l'eau" dans "Epsilon", "les abysses" dans "À Nos Traîtres", "la mer" et 'l'écume" dans "Ascension"), ce qui n'est pas sans rappeler que le groupe vit près des côtes. Enfin, autre point beaucoup moins évident mais qui est sans doute le plus important car faisant directement référence au titre de l'album, tout ce qui a un rapport à la politique au sens large du terme. Si on prend en considération le visuel et les termes employés pour désigner des personnes qui en dominent d'autres ("souverains" dans "Enseveli", "la couronne des rois" dans "À Nos Traîtres"), on peut largement imaginer des faits dignes de guerres, de rebellions, d'insurrections, d'aventures ou autres légendes. Or, on peut supposer que cette volonté de raconter ce genre d'histoires qui captivent et intriguent les foules est loin d'être anodin. On retrouve cette possibilité d'effectuer une lecture "entre les lignes", comme sur le premier EP. En choisissant de ne jamais nommer ou pointer directement du doigt des personnes ou systèmes politiques, économiques ou sociaux contemporains et qui nous concernent tous, Ellipse s'offre le luxe d'une libre interprétation de ses textes, ce qui dénote une certaine qualité d'écriture et une maturité bien réelle. Un très gros point fort qui élève Claire au rang de véritable "poétesse engagée" pourrait-on dire. On est donc totalement libre d'écouter Ellipse comme un groupe nous narrant des aventures épiques s'apparentant à de la dark fantasy ou plutôt comme un groupe sachant manier l'art de l'écriture pour camoufler ses propos et revendications à la manière de La Fontaine qui se servait de ses fables pour critiquer ou se moquer des politiques ou de certaines classes sociales.

Un album puissant. Une fois de plus, Ellipse en impose, que ce soit musicalement ou dans l'écriture. C'est varié, riche, efficace et surtout puissant : on se laisse guider au fil des pistes pour découvrir un nouveau riff, un nouveau solo, une nouvelle phrase hurlée par Claire qui sonne comme un uppercut dans les oreilles. Ellipse ne fait véritablement pas du Métal comme tout le monde et est définitivement un groupe qui mériterait davantage de visibilité dans le paysage français (et mondial ?). Et que dire de tous ces détails qui font de cet album qu'il est un grand album ? Ces percussions (djembé ?) avant le magnifique solo de fin sur "Dans La Gueule Du Loup", ce son de guitare en intro de "La Chute" qui rappelle inévitablement celui de Papa Roach pour "Blood Brothers", ces chœurs magiques en fin de "Dans La Gueule Du Loup" et de "La Chute" ? Quel pied ! Voilà un album qui propose beaucoup de choses, qui essaie beaucoup de choses. Et ça fait plaisir à entendre ! On ne peut que souhaiter un bel avenir aux nantais et surtout une reconnaissance pour leur travail. À Nos Traîtres est un album qui prend aux tripes, qui se savoure comme un sombre roman de fantasy, chapitre après chapitre, et qui laisse des traces indélébiles dans les tympans. Fort !

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